LA LONGUE ROUTE VERS L'ACCEPTATION
Mes deux mois d’hospitalisation furent la période la plus facile de toute ma convalescence. Les gens me disaient que j’étais une patiente merveilleuse. J’avais toujours le sourire aux lèvres et les deux pouces dans les airs en faisant des petites blagues par-ci, par-là. Les infirmières me disaient à quel point elles étaient surprises par ma résilience face aux mauvaises nouvelles, semaine après semaine. On me répétait que l’acceptation du sac était une longue route cahoteuse remplie de hauts et de bas. Pourtant, sur mon lit d’hôpital, j’étais en paix avec ma décision et j’acceptais mon sort.
C’est en quittant l’hôpital que j’ai compris que j’entamais mon chemin sur cette route turbulente. Quand on porte la jaquette d’hôpital, on se sent tellement vulnérable et parmi autant de malades, on se sent normal de l’être. Mais quand on est de retour dans le nid familial, la vie doit regagner son cours normal. Tu ressens le besoin de reprendre ta vie d’avant, sachant très bien qu’elle ne sera jamais la même.
Sur cette route cahoteuse, tu dois vivre plusieurs deuils. J’ai dû dire adieu à mon côlon, à la belle apparence de mon ventre, à ne plus être capable de péter ou d’aller à la selle par mon orifice naturel. Pendant cette période, j’ai vécu beaucoup de tristesse et de colère. J’en voulais tellement à la vie… je l’haïssais. J’ai probablement pleuré toutes les larmes de mon corps et j’insultais la vie de toutes sortes de noms. Petit à petit, ces sentiments se sont atténués pour laisser place à la dernière étape du deuil : l’acceptation. J’ai dû accepter ma stomie, le sac, mes cicatrices et le fait d’être, simplement, une personne différente.
C’est à ce moment-là que j’ai voulu cacher mon sac à tout prix. Depuis ce jour, je suis devenue la meilleure amie des pantalons taille haute et des culottes adaptées aux stomies. Ils m’ont redonné assez confiance pour pouvoir m’habiller comme une jeune femme de mon âge. De plus, lors de ma convalescence, j’ai pris l’habitude étrange de parler à ma stomie. Par exemple, je lui disais de se taire quand elle était trop bruyante. J’ai même fini par lui donner un prénom. Après tout, Tomie la stomie sera ma compagnonne de vie! Par la suite, j’ai développé une obsession étrange à regarder le ventre des inconnus que je croisais dans des lieux publics. J’étais à la recherche d’une bosse ou d’une difformité dans le seul but de me convaincre que je n’étais pas seule. J’ai mis fin à ce petit passe-temps depuis que j’ai découvert la communauté des gens stomisés sur internet (principalement sur Instagram). Il y a suffisamment de monde là-dessus pour que je me rende compte qu’effectivement, je n’étais pas la seule. Participer à cette communauté a grandement facilité mon processus d’acceptation. Les gens sont présents pour te lire, te soutenir et t’encourager. Partager des photos de moi et de mon sac a augmenté mon estime à un autre niveau !
Pour continuer sur ma route, je me suis rendu compte que «les premières fois» étaient assez pénibles et angoissantes. Par exemple, le premier copain, la première relation sexuelle, le premier travail, la première rentrée scolaire, le premier été, la première sortie sur la plage ou à la piscine, le premier voyage, le premier dégât en public et j’en passe ! Ceux-ci peuvent être vus comme des obstacles sur le long et sinueux chemin de l’acceptation. D’une personne à l’autre, nous réagissons différemment à ces moments-là. Pour ma part, tous les garçons que j’ai côtoyés depuis que je suis stomisée m’ont acceptée telle que je suis. Mes premières relations sexuelles se sont déroulées maladroitement et dans le noir. Mes selles se sont écoulées en dessous de l’appareillage à ma première journée au cégep et je me suis promener le ventre à l’air, pour la première fois, à Cuba, 1 an et demi après ma chirurgie. J’étais terrorisée devant chacune de mes premières fois, mais au bout du compte, ça en valait tellement la peine!
Sachez que peu importe ce que vous traversez, c’est normal de rencontrer des difficultés. Si jamais la route vous semble trop difficile, ou si vous avez l’impression d’être dans un cul-de-sac, n’hésitez pas à chercher de l’aide. Ce n’est pas un processus qui se fait seul. Ma famille, mes amis et mon copain de l’époque étaient tous présents pour m’encourager. C’était une journée à la fois. Un pas de plus vers l’avant.
Encore aujourd’hui, je marche sur cette route. Parfois, elle se remplit d’obstacles et de difficultés et d’autres fois, elle est paisible et magnifique. Je crois que c’est ce qui fait la beauté de la vie.